De retour de son championnat du monde, avec sa médaille de bronze, Isabelle Ferrari ne se laisse pas envahir par son succès. La vie reprend sa routine…
C’est à Vongy que nous passons un moment avec elle sur la scène de ses entraînements à la perche. Accompagnés de Dominique Giraud, adjointe aux sports, et Sylviane Deniau, adjointe à la communication, nous rencontrons Isabelle avec son coach Clément Stucheli du TAC (Thonon Athlétique Club) et Enguerran Neveu, Président de l’EDGAAP (Ecole de Disciplines Gymniques Artistiques et Acrobatiques de Publier).
Ce qui nous préoccupe, c’est de savoir ce qui se passe à l’intérieur d’une quinquagénaire qui décide de se rendre en Pologne, au championnat du monde, sans soutien autour d’elle.
Isabelle Ferrari nous raconte :
Sa décision de concourir en Pologne ce 1er avril 2023
Aller concourir, c’est une décision que je prends en fonction des moyens de transport. Si c’est trop compliqué, je ne fais pas. Il faut que ça reste un plaisir. Pour ces championnats du monde à Torun en Pologne, je me suis décidée en décembre, pendant les vacances de Noël, après avoir pris le temps de regarder comment me transporter et m’héberger. C’est seulement après m’être assurée de tout cela que je me suis inscrite.
Mon objectif était d’aller à ces championnats, de concourir, mais pas forcément de performer. L’envie d’y aller était là.
J’arrête tout !
Trois semaines avant le départ, mon principal financeur me lâche. J’ai appelé la compagnie organisatrice des championnats du monde pour connaître la procédure afin d’annuler mon inscription… Mais j’ai des supers amis qui m’ont dit « Non Isa, tu ne peux pas renoncer. Tu as tout réservé, tu vas quand même en être de ta poche si tu n’y vas pas. Fais des demandes de sponsoring, ou une cagnotte en ligne ».
C’est compliqué de réclamer pour soi. Je ne sais pas faire. La cagnotte, c’était hors de question que mes amis pallient le manque d’engagement qui venait de m’arriver. De plus, mes amis ne pouvaient avoir aucun retour de mes performances. J’ai donc pris mon bâton de pèlerin pour aller quêter. C’était donnant donnant. « Vous me sponsorisez, je vous fais de la com ». J’ai été surprise d’être aussi bien reçue, comprise et soutenue dans ma demande. La plupart l’ont fait avec la volonté de soutenir des athlètes qui ont le goût de l’effort, la volonté de faire, même s’ils ne performent pas. Certains ont même donné dans la discrétion, en refusant que je leur fasse de la pub.
Pas de pression avant de partir.
J’étais outsider, la septième meilleure performance sur les 10 filles inscrites dans ma catégorie. Donc, pas trop de chance de podium, juste une envie de rentrer dans le top 5. Je pars décontractée le vendredi matin avec mes perches pour l’aéroport de Genève. Bagages spéciaux sur tapis spécial et à la douane, démontage complet, pour contrôle, de l’emballage scotché !!!
Arrivée à Varsovie avec une demi-heure de retard. Je me fais du souci pour la correspondance et le suivi des perches. Tout se déroule bien, sauf le transport en commun pour rejoindre Torun qui ne fonctionne pas ce jour-là. J’ai dû louer une voiture et apprendre à gérer le navigateur qui parle et propose des textes en polonais…
La solitude de l’hôtel
Après être passée au stade poser mes perches, direction l’hôtel. Footing de décrassage dans les bois autour de l’hôtel et automassage. Repas dans la solitude, due surtout au langage. Quelques sms aux amis et le sommeil m’envahit rapidement. Réveil de bonne heure, toujours sans stress ni excitation.
Une sculpture en bois pour mémoriser le départ de la course
Patience et rencontre dans l’antichambre du concours
Arrivée à la salle vers 10h. Un peu d’échauffement hors enceinte du concours.
Le concours annoncé à 13h est décalé à 13h30. L’échauffement est décalé d’autant.
En chambre d’appel (antichambre du concours) je rencontre les autres filles de ma catégorie à qui je transmets un petit cadeau : un pot de confiture et une marque en bois, que j’ai réalisée aux initiales de chacune, qui sert à marquer le départ de la course pour le saut. Un geste très apprécié, qui a détendu les relations dans cette salle d’attente.
L’échauffement
Echauffement : la tête à l’envers.
Une partie bien rituelle pour moi, avec plusieurs approches et des sauts sans retournement avant de passer à la phase concrète des sauts.
Au troisième saut, je me demande ce qui m’arrive quand je me retrouve la tête à l’envers dans le buttoir à regarder le plafond.
Les jurys viennent me voir et me demandent si ça va. Oui, ça va… et là je vois ma perche « pétée » en deux ! Ça ne m’est jamais arrivé.
La sympathie du sport se met vite en route avec les jurys qui s’inquiètent pour ma santé. Ils m’autorisent à refaire des sauts d’entrainement même si le temps déborde. Les collègues veulent me prêter leur perche… Mais j’avais prévu une deuxième perche un peu plus rigide au cas où.
Pourquoi pas de cannes gracieusement prêtées sur place
On pouvait louer les cannes sur place. En fonction des marques, les cannes sont plus ou moins souples.
La première fois que j’ai voulu changer de perche, pour en prendre une plus dure, j’ai fait retour tartan. Là, je me suis faite peur. Ça a été très compliqué de changer de perche. Il a fallu que je retrouve confiance en moi.
Avec l’aide de mes entraîneurs, j’ai pu prendre une perche plus dure et depuis, je suis tombée amoureuse des perches UCS/SPIRIT. Une perche qui me laisse le temps de bien faire mes mouvements, chandelle, retournement avant de passer la barre.
Il est donc délicat de se servir de perches que l’on ne connait pas en concours. C’est pour cela que j’embarque plusieurs perches avec moi lorsque je pars concourir.
Les phases du saut
- La course
- L’impulsion, sur un seul pied, avec les bras tendus vers le haut
- Monter en chandelle, le temps que la perche se déplie pour se retrouver à la verticale (pied en l’air) en même temps que la perche.
- Se retourner et ne pas oublier de repousser la perche
L’essentiel est que la barre reste sur ses taquets.
Concentration pendant le concours.
La barre est à 2,30m pour le départ des Chiliennes. Moi, j’ai choisi de commencer à 2,50m.
Je ne regarde pas les sauts des autres quand je suis en compétition. Le premier saut se fait avec « la trouille ». Et quand j’ai la trouille, je ne monte pas en chandelle…
Je me vois assise sur la barre mais dans une ultime réaction, je réagis et je passe de justesse les 2,50. Ouf ! j’ai au moins une barre de passée.
Je fais l’impasse sur les 2,60 pour un essai direct à 2,70 que je passe plutôt bien au deuxième essai.
A 2,80, record de ma saison, je passe la barre au deuxième essai. Je vais me rasseoir. Je me concentre sur ma respiration et mon ventre qui monte et qui descend. Je reste complétement en moi, concentrée sur mon saut.
A 2.90 l’échec
A 2.90 on n’est plus que 4 en course. L’italienne et l’anglaise passent au premier essai. Il reste l’américaine et moi.
Je ne regarde absolument pas ses sauts, je ne veux pas savoir, je reste toujours concentrée sur moi.
Je fais avancer un peu les poteaux pour le troisième essai, erreur ou pas, le concours s’arrête là pour moi.
L’américaine ne passe pas non plus. Je me dis cool, je suis troisième ex-æquo !
Remplie d’émotions je prends conscience que je suis sur le podium … (une émotion qui lui tire encore les larmes pendant l’entretien) … et je me dis que je n’ai pas fait tout ça pour rien… je suis allée au bout de mon projet… et en plus, je reviens avec une médaille.
Mon père sera fier de moi…
Le doute s’installe sur ma troisième place
Je ne sais pas pourquoi, mais je n’étais pas sûre de cette troisième place exaequo avec l’américaine. Je ne voulais pas de fausse joie.
Le concours se termine par un passage à 3 m de l’italienne et de l’anglaise.
Je vais voir le jury et lui demande à quelle place je suis. Je vois le 3 à côté de mon nom. Je demande, avec mon anglais francisé, you are sure ? you are very sure ? Yes, yes, you are three ! Qu’on me répond
Déception sportive
Après avoir rangé mes affaires et envoyé quelques textos pour annoncer le résultat, je m’assois devant le podium pour être certaine d’être présente au moment fatidique.
Ça a duré une heure ! Entre temps, je vais voir l’américaine qui attendait également le podium.
Je lui exprime ma joie d’être avec elle sur le podium. Mais avec un air froid et sérieux elle me dit : « Non, je suis quatrième »
Effectivement, aux 2.80 elle a passé la barre au troisième essai alors que je l’ai passée au deuxième essai. Je me suis sentie contrariée par mon intervention.
Remise des médailles
Les résultats tardent à être prononcés. Les organisateurs sont en attente de l’impression des diplômes…
Je monte sur le podium et on me remet ma médaille et mon diplôme.
L’émotion est passée. Pour moi, le plus important c’est d’y être allée et d’avoir concouru. Çà, (en montrant la médaille) c’est la cerise sur le gâteau. Je serai revenue sans médaille, j’aurais été hypercontente.
Là aussi, je me dis que c’est peut-être la reconnaissance de tout ce que j’ai fait. T’as été au bout, donc bravo. On te remet une médaille. Cette médaille, c’est la médaille de l’effort.
Fin de la cérémonie
Je dois ranger mon matériel. J’ai encore du mal à partir du stade. On se promet avec Barbara, la médaillée d’or, de nous revoir. Retour à l’hôtel vers 19h et la première chose que je demande, c’est une pinte de bière. Celle-là je l’ai méritée. Je la savoure, seule avec moi-même et fière de mon parcours.
Alors, je pense à mon père et à sa maladie de Charcot…
Retour en Chablais
Je quitte l’hôtel vers 10h le dimanche matin. Dans l’avion, la pression se relâche et l’émotion m’envahit…
Mon compagnon m’attend à l’aéroport. Il m’emmène chez mes parents.
Je retrouve mon père et sa maladie. Je le remercie pour tout ce qu’il m’a apporté (…silence entre deux sanglots…) lui aussi est super content que je sois allée au bout des choses. Cette médaille est pour lui…
Et après
Un passage vers mes sponsors pour les remercier de m’avoir permis de vivre ces moments intenses.
Puis vers Clément, mon entraîneur, qui me demande si j’ai ramené la perche cassée pour voir ce qu’il en est des raisons qui peuvent expliquer cette rupture.
La vie a repris son cours…
Enguerran Neveu – président de l’EDGAAP
C’est un grand plaisir que de suivre un tel évènement qui représente un investissement à très long terme.
On connait bien la difficulté d’allier le plaisir du sport avec ses journées de travail, et aussi cette problématique financière qu’engendre ce genre d’évènement, autant pour le compétiteur que pour les structures qui le suivent. Heureusement, les sponsors sont là pour ça.
Nous, à l’EDGAAP on la soutient pour ses entrainements, en lui mettant la salle à dispo quand elle veut et surtout quand il pleut. C’est vrai qu’un appareillage de saut à la perche à l’intérieur du complexe sportif serait super, mais je pense que ce serait difficilement réalisable techniquement.
Isabelle, qui est chez nous depuis 2012, s’investit bien dans le club. Elle est rentrée au comité administratif et aujourd’hui elle assume les tâches du secrétariat au sein du bureau directeur.
Sur le plan sportif, elle s’investit également beaucoup puisqu’elle nous donne de nombreux coups de main, surtout lorsqu’on a des entraîneurs absents.
C’est une assurance pour nous et une garantie pour nos adhérents que d’avoir une personne compétente pour assurer les cours lorsqu’un entraîneur est absent, ou lorsqu’il part en compétition pour le week-end par exemple.
Elle est aussi à l’initiative de l’échange réalisé avec le TAC, son club pour lequel elle est fidèle depuis 1985. Les jeunes du TAC sont venus découvrir la gym à Publier, ceux de Publier qui en ont envie, iront découvrir le saut à la perche sur le terrain du TAC.
TAC (Thonon Atlétic Club), 317 adhérents, tout ce qui touche à l’athlétisme Sauts (longueur, hauteurs, perches, triple-saut), lancés (marteau, javelot, disque, poids), courses (sprint, haies, fond, demi-fond), et une belle section hors stade et les trails. On a de la chance d’avoir des bénévoles pour encadrer toutes ces disciplines. Une grande famille avec d’anciens athlètes comme bénévoles.
Clément Stucheli – Entraineur au TAC pour le saut à la perche
C’est cool, c’est bien d’avoir une championne du monde dans son club. Les masters, il faut oser y aller et avoir la volonté de tenir jusqu’au bout. Tant que c’est le plaisir qui conduit tout cela, je trouve ça super.
Dans notre club, au niveau adhérents, on compte moitié hommes, moitié femmes. Les perches s’adaptent au physique des gens. Si on n’a pas peur on peut sauter facilement.
C’est une sensation incroyable qui donne cette envie de se propulser là-haut. Même les jeunes qui nous regardent ressentent cette envie.
Ce n’est pas si dur que çà la perche, il faut appuyer sur les bras, mettre la tête en bas et puis voilà… on arrive au-dessus de la barre, et là, c’est un moment magique.
On ressent toutes les sensations, la réussite, la frustration, l’énervement, c’est l’adrénaline qui nous envahit.
Le seul truc, il ne faut pas oublier que c’est exigeant. Il faut sauter souvent et en plus entretenir son corps, ses jambes pour courir, bras, abdos, préserver ses mains… il y a tout un travail d’athlétisme et de gym à faire en parallèle.
Mais ça reste un vrai plaisir.
Maryline Berenguer – Clément Stucheli – Isabelle Ferrari – Dominique Giraud
Dominique GIRAUD – Maire adjointe chargée de l’environnement et des sports
L’EDGAAP a quelques pépites au sein de son club.
Madame Ferrari a tout d’une Grande Dame et fait partie de cette lignée de champion qui se donne à fond pour leur passion. On pourrait croire que c’est un sport facile. Mais une fois sur place, tout est art de technicité, de concentration, d’énergie pour prendre de la hauteur et passer graduellement ses limites.
On pourrait croire que c’est un simple jeu pour elle. Elle sublime ce sport par cette foulée, son geste par élancement, cette beauté du mouvement, cette envolée. C’est magnifique de regarder et impressionnant à la fois de la voir s’élever au firmament, aussi bien au sens propre comme au sens figuré. Par son résultat, elle procure un rêve pour les jeunes compétiteurs de l’EDGAAP. Ainsi Isabelle donne de l’espoir.
Crédit photos : Philippe Béchet