Les planchers de danse de la cité de l’eau étaient vides ce vendredi 11 décembre 2020. Joëlle Batal, Professeur de danse, et Aurélie Lacroix, secrétaire de la Valentin’s Company, étaient bien seules pour nous recevoir. Situation créée par la COVID-19 qui oblige le staff de la Valentin’s à rester passif, du moins dans la salle de danse.
On n’a qu’une vie et pour moi c’est la danse…
Un état de fait compliqué à vivre pour Joëlle qui depuis sa plus tendre enfance n’a rêvé que de plancher d’opéra.
Il faut dire que sa maman était une professionnelle renommée de la danse. Contre toute logique, cette danseuse ne souhaitait pas que sa fille prenne le même chemin qu’elle. Joëlle a donc fait des études de dessin et se préparait pour les beaux-arts en pleurant tous les jours.
« On n’a qu’une vie et pour moi c’est la danse… » répétait Joëlle. Sa maman a fini par craquer et Joëlle a pu vivre sa passion.
Tu prends 5 kilos et tu vas au Moulin Rouge !
Son premier contrat de danseuse, elle l’a décroché à Limoge. « Très durs les premiers mois, se rappelle-t-elle. Un opéra différent tous les jeudis et une opérette différente tous les week-ends. On ne faisait qu’apprendre… Mais, je me suis régalée, c’était formidable. J’ai pu toucher à tous les styles. Les bons amis, pas le temps… pas plus que la famille, les fêtes, anniversaires, mariages… C’est apprendre, apprendre… Mais on s’en fout quand on est passionné. »
Puis se fut Dijon, où le Maître de ballet lui disait : « Tu prends 5 kilos et tu vas au Moulin Rouge ». C’est au music-hall « Nouvelle-Eve » qu’elle continua une folle carrière. La journée pour la télé, dans les émissions de Jean-Christophe Averty et le soir à Nouvelle Eve.
Je sautais dans un taxi où je me changeais…
C’est lors d’une grande tournée, Espagne, Allemagne, Italie et Suisse où ce dernier arrêt permis à Joëlle de rencontrer son futur époux, le batteur et chanteur Jacques Batal. Une coïncidence heureuse provoquée par l’obligation imposée aux danseuses de jouer d’un instrument sur scène. Quoi de mieux que les musiciens de l’orchestre pour former ces danseuses.
Mais la vie de Jacques était à Genève et celle de Joëlle à Paris où elle est rentrée au Moulin Rouge.
« Au bout d’une année on a envie de faire autre chose que 24 ballets en deux spectacles par soir. Toujours la même chose chaque soir… » confie-t-elle pour expliquer qu’elle n’y sera restée qu’une année. Une année bien remplie, puisque chaque soir, en sortie du Moulin, vers 2h du matin, elle passait à son studio prendre Lapins, Colombes, Costumes… « je sautais dans un taxi où je me changeais… et j’allais dans un cabaret faire mon numéro de magie à 2 ou 3h du matin… ».
De la folie ? Peut-être, mais bien contrôlée puisqu’il lui fallait un vrai spectacle de magie pour rejoindre Jacques dans les cabarets Suisse.
Ils étaient venus flinguer un mec
Une vie passionnante, mais pas sans risque… « Petite anecdote que je n’ai jamais oubliée, raconte Joëlle. Une nuit, vers 1h du matin, dans mon immeuble qui n’avait pas d’ascenseur, j’ai croisé 3 bonshommes habillés de noir, chapeau noir… bref des gangsters. Alors, j’ai baissé les yeux et regardé mes godasses… je leur ai bien fait comprendre que je ne les voyais pas. Ils étaient venus flinguer un mec dans l’immeuble… ».
La Valentin’s Company au nom de son Valentin
Quand elle a quitté le Moulin Rouge, elle a fait ses numéros de magie dans les cabarets d’Europe avec un numéro de « Cancan » qu’elle présentait toute seule.
Elle a enfin pu retrouver Jacques et s’installer à Evian. En 1982, elle créa sa première école de danse, au-dessus du crédit agricole de Thuyset, « Le Ballet du Petit Monde » en référence au « Théâtre du Petit Monde » à Paris.
En 1988, les élèves ayant grandi, « C’est influencée par mon dernier fils Valentin, âgé de 2 ans à l’époque, avoue-t-elle, que j’ai rebaptisé l’école au nom de La Valentin’s Company ».
C’est la Présidente de l’époque, Françoise Chauvière, qui a demandé au Maire de Publier, Bernard Comont, une salle pour la Valentin’s Company. Ses premiers cours sur la commune furent dispensés dans la salle de danse située au premier niveau bas de la salle polyvalente.
Un spectacle grandiose tous les deux ans
La Valentin’s Company n’a cessé de croitre. Aujourd’hui, c’est 35h de cours par semaine pour Joëlle Batal à la Cité de l’Eau. De 350 élèves l’an passé, la COVID-19 a réduit l’effectif à 250 élèves. Les cours en vidéo sont dispensés pour celles qui le souhaitent.
Un groupe d’élèves se produit chaque année dans diverses manifestations organisées dans le Chablais. Tous les deux ans la Valentin’s Company met en scène tous ses élèves dans un spectacle grandiose. Pour 2020, la COVID a refusé le spectacle dans la salle Olympe.
Joëlle et ses chorégraphies
Joëlle fait la chorégraphie d’un ballet en plusieurs étapes, pas toujours dans le même ordre mais reste sur une base de 4 parties.
Le fantôme de l’opéra, et là je dis : « oh ! OUAIS ! »
Souvent Joëlle en discute avec les « filles », ses danseuses, dans n’importe quelle circonstance. Un exemple pour le ballet « le tour du monde du fantôme de l’opéra », le titre vient lors d’un retour d’une rencontre de danses : « on rentrait en bus après une rencontre à Aix les bains, on cherchait un thème et Aurélie dit : le fantôme de l’opéra et là je dis : oh! OUAIS …… et le fantôme de l’opéra est devenu le tour du monde du fantôme de l’opéra » explique-t-elle, et quelques années plus tard « le vrai » fantôme de l’opéra a été repris.
Souvent « c’est en discutant avec les grandes » que Joëlle trouve les titres des spectacles.
« La musique c’est terrible »
Le choix de la musique, c’est des heures et des heures d’écoute pour faire un choix, « c’est un peu du hasard » dit-elle.
Au début Joëlle devait se rendre chez les disquaires pour écouter de la musique piste par piste, un énorme travail de patience, allant à se déplacer jusqu’à Lausanne pour faire ses choix. A l’époque la technologie n’était pas celle que nous connaissons aujourd’hui, elle avait à sa disposition le « revox », un magnétophone analogique, et devait couper les bandes pour créer la musique de ses ballets, des heures et des heures de travail. Maintenant, tout est différent, et tellement plus facile avec la technologie actuelle, de plus elle se fait aider par son fils Valentin musicien.
« C’est comme un écrivain »
C’est en écoutant de la musique encore et encore que la chorégraphie arrive. « C’est comme un écrivain sur sa page blanche » Elle dessine sur des cahiers avec des temps, des mesures, des petits dessins : « mes dessins sont des pense-bêtes, il existe une vraie écriture de la danse, mais c’est trop compliquée » affirme-t-elle. C’est pourquoi Joëlle a sa propre technique, qui fonctionne avec succès depuis plusieurs années. Ses chorégraphies ne sont pas définitives, elles peuvent changer au moment de la mise en place. Elle travaille souvent dans l’urgence, « c’est stimulant ».
Joëlle dessinait et Claire réalisait
Joëlle veut rendre hommage à sa costumière : Claire SORDOILLET
Les costumes, elle les réalisait pendant ses nuits de garde. Elle étalait les tissus sur les grandes tables du labo et confectionnait toute la nuit. Elle arrivait à réaliser des séries de costumes avec des mètres et des mètres de tissu. Joëlle dessinait les costumes et Claire les réalisait. Un duo qui fonctionnait à merveille, jusqu’au jour ou Claire a décidé d’arrêter.
Ces beaux costumes sont tous conservés dans une salle de la Cité de l’Eau et constituent un véritable musée.
Maintenant, il faut trouver de nouvelles « petites mains » pour continuer l’œuvre de Claire et faire vivre les ballets futurs.
La belle et la bête
Le spectacle, la Belle et la Bête fut produit en 2018 après 6 mois de travail. Deux représentations dans la salle Olympe avec un programme explicatif distribué à l’entrée. 220 participants le samedi et le dimanche 320 en intégrant les plus petits dans le spectacle. C’est en naviguant dans les coulisses qu’on s’aperçoit de l’ampleur de l’organisation. Matériel, costumes et surtout discipline, pour ne pas se faire déborder dans cette organisation.
La Valentin’s Company fêtera ses trente ans en 2021
Un nouveau spectacle aurait dû voir le jour en 2020. La crise sanitaire aura éteint toute espérance d’apprécier la nouvelle création de Joëlle. Avec un peu de tristesse dans les yeux et beaucoup dans le cœur Joëlle avoue « C’est difficile de supporter la vie sans la danse, alors on fait ça par vidéo, mais ce n’est pas la meilleure façon de motiver les troupes. Mais, restons optimiste. L’an prochain nous fêterons les 30 ans de la Company avec un best off de ces 3 décennies ».
Patientons jusqu’en 2022 pour découvrir la nouvelle création de Joëlle Batal.